• L’économie canadienne n’est pas parfaite, mais ne réclame pas un assouplissement non plus.
  • Le PIB du T1 est ponctué de détails contrastés…
  • … à l’heure où la BdC se préoccupera peu de la dégradation du T4…
  • … et où l’élan timide de l’économie se poursuit au T2.
  • Nous continuons de penser, comme nous le faisons depuis longtemps, que la BdC décidera de ne pas bouger la semaine prochaine.
  • Or, les raisons de ne pas bouger ne sont pas seulement liées au PIB.
 
  • PIB : évolution en % sur un trimestre, en données désaisonnalisées et annualisées au T1 :
  • Données réelles : 2,2
  • Scotia : 1,7
  • Consensus : 1,7
  • Auparavant : 2,1 (données révisées par rapport à 2,6)
  • PIB : évolution en % sur un mois, en données désaisonnalisées, en mars :
  • Données réelles : 0,12
  • Scotia : 0,2
  • Consensus : 0,1
  • Auparavant :  -0,2
  • Estimation éclair du PIB d’avril : 0,1 %

L’économie du Canada est assez vigoureuse pour que la Banque du Canada s’abstienne de bouger mercredi prochain; il y a aussi d’autres raisons qui le justifient. Nous continuons de penser, depuis longtemps, qu’il ne faut pas modifier les taux d’intérêt. Le graphique 1 fait état de la croissance selon les comptes trimestriels du PIB d’après les dépenses et les revenus mensuels jusqu’au T2.

Graphique 1 : La croissance du PIB canadien

LES CHIFFRES

La croissance de 2,2 % sur un trimestre, en données désaisonnalisées et annualisées, du PIB du T1 se chiffre à un demi‑point de pourcentage de plus que prévu; il faut toutefois dire que la croissance de 2,1 % du trimestre précédent a été révisée à un demi‑point de moins que le rythme auparavant estimé de 2,6 %, sur lequel je reviendrai.

Le graphique 2 fait état des apports pondérés à la croissance du PIB du T2 par catégorie de dépenses. Les détails ne sont pas exceptionnels; ils ne sont pas terribles non plus. Les stocks ont rehaussé de 1,4 point de pourcentage la croissance du PIB du T1 parce que les entreprises ont thésaurisé du fait de la menace tarifaire qui plane sur les chaînes logistiques. À elle seule, cette raison ne justifie pas le ralentissement du rythme du T1 sans aussi tenir compte du fait que les importations ont compensé en retranchant 1,4 point de pourcentage sur la croissance du PIB du T1, puisque le surcroît des stocks a été probablement fortement attribuable à la hausse des importations. Les exportations ont fortement rehaussé la croissance de 2,2 points de pourcentage parce que les exportateurs ont probablement tâché de livrer leurs produits sur les marchés avant l’imposition des tarifs douaniers. En définitive, la consommation est venue ajouter 0,7 point de pourcentage à la croissance du PIB du T1, essentiellement par l’entremise des biens semi‑durables, l’investissement résidentiel a rogné 0,9 point de pourcentage sur la croissance, l’investissement dans les structures non résidentielles a soustrait 0,4 point de pourcentage, et l’investissement dans la machinerie et l’équipement a rehaussé la croissance de 0,7 point de pourcentage. Les dépenses de l’État ont arraché 0,1 point de pourcentage au PIB du T1.

Graphique 2 : Les apports au PIB réel du Canada pour le T1 de 2025

Il est improbable que la BdC s’inquiète de la révision négative du T4, puisqu’elle a été presque entièrement portée par un plus grand effet du poids des stocks, qui a retranché 4,5 points de pourcentage à la croissance du PIB du T4 contre 3,3 % dans les précédentes estimations. Les importations sont aujourd’hui moins lourdes sur le PIB du T4, à ‑0,8 point de pourcentage au lieu de ‑1,8 %. Le reste des révisions du PIB du T4 a relativement peu évolué dans l’ensemble des autres constituantes (graphique 3).

Graphique 3 : Les apports au PIB réel du Canada pour le T4 de 2024

La consommation, même si elle n’a pas été prodigieuse, a quand même gagné 1,2 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et annualisées, pour un apport de 0,65 point de pourcentage à la croissance du PIB du T1 en chiffres pondérés. Il est compréhensible que le PIB reprenne un peu son souffle après avoir inscrit des rythmes de croissance effrénés au T3 et au T4 l’an dernier, et honnêtement, il s’agit d’un progrès puisqu’après avoir inscrit un taux de croissance de 5 % au T4, le PIB ne s’est pas replié au T1 (graphique 4). Or, le relèvement de la croissance comporte d’importants risques prospectifs.

Graphique 4 : La croissance de la consommation réelle au Canada

Le graphique 5 fait état d’un motif d’inquiétude à propos du T1. La demande intérieure finale regroupe la consommation, l’investissement et les dépenses de l’État et ne comprend donc pas les stocks ni la balance commerciale nette. Il s’agit d’un indicateur approximatif de la vigueur de l’économie intérieure, et elle n’a pas bougé au T1, essentiellement en raison de la léthargie de l’investissement résidentiel malgré tout ce qui s’est dit de l’augmentation de l’offre de logements et qui n’était finalement rien de plus que des paroles en l’air.

Graphique 5 : La demande intérieure finale au Canada

À +0,1 % sur un mois, le PIB de mars correspond à la précédente estimation éclair de Statistique Canada. Le graphique 6 fait état des apports par secteur. À mon avis, l’économie a été plus solide que le chiffre de synthèse du PIB pour mars, puisque le secteur des services publics a rogné un dixième de point sur la croissance, ce qui correspond plus que n’importe quoi d’autre à un bulletin météorologique volatil. 

Graphique 6 : Apports pondérés des secteurs au PIB réel de mars

L’estimation éclair d’avril pour le PIB s’est établie à 0,1 % sur un mois, ce qui préserve son élan au T2, de sorte que le pistage très provisoire de la croissance laisse entrevoir un rythme de 0,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et annualisées au T2 uniquement d’après le T1 et le chiffre d’avril, en supposant que le reste du trimestre est terne, uniquement pour mettre l’accent sur les effets de ce qu’on connaît jusqu’à maintenant.

Essentiellement, la croissance du T1 a été plus forte que ce à quoi s’attendait la BdC dans les scénarios de son RPM d’avril et a progressé plus que ce qu’elle avait prévu dans son RPM de janvier (1,75 %). Le lecteur est invité à consulter le graphique 7. En outre, le T2 piste très provisoirement une tendance légèrement meilleure que dans son « scénario 1 » et une croissance nettement supérieure à ce qu’elle craignait dans son « scénario 2 », comme l’indique aussi le même graphique.

Graphique 7 : La projection du PIB de la Banque du Canada

L’ENSEMBLE DU PLAIDOYER POUR LE MAINTIEN DU TAUX DIRECTEUR

Le plaidoyer pour le maintien du taux directeur se fonde sur des éléments beaucoup plus nombreux que le PIB. Voici quelques points à considérer.

1. Abaisser le taux directeur à cause de l’emploi?

  • Certains diront oui. Or, le mandat de la BdC consiste à mater l’inflation, et non le marché de l’emploi, et le lien entre l’emploi et l’inflation est ténu.
  • La BdC ne surréagira pas à un nombre limité de chiffres sur le marché de l’emploi en raison des nombreuses distorsions (élections, violonage de la TPS et météo).
  • La croissance réelle des salaires et les règlements salariaux sont toujours nettement supérieurs à ce que la productivité justifierait.
  • Essentiellement, les chiffres de janvier à avril ne m’inspirent pas du tout confiance. Les quelque 50 000 emplois créés depuis le début de l’année sont portés par le choix de Statistique Canada d’utiliser les facteurs de désaisonnalisation les plus faibles dans les annales pour chaque mois écoulé depuis le début de cette année. Prendre plutôt les facteurs de désaisonnalisation de la moyenne statistique pour chaque mois et la croissance de l’emploi depuis le début de l’année représenteraient environ entre 3,5 et 4 fois plus que ce qui est déclaré officiellement (soit plus de 180 000 emplois). On relève un fort parti pris de la récence dans le mode de calcul des facteurs de désaisonnalisation puisque Statistique Canada suppose que les erratiques tendances saisonnières de la pandémie devraient toujours produire leurs effets aujourd’hui. Je ne crois pas que c’est ce que l’agence statistique doit faire, et par conséquent, je pense qu’elle sous‑comptabilise considérablement la croissance de l’emploi.
  • Ces facteurs de désaisonnalisation ont tous pour effet de surcomptabiliser l’emploi pour la période comprise entre juin et août. Faut‑il sabrer les chiffres surcomptabilisés de la croissance de l’emploi?

2. Abaisser le taux directeur à cause de l’inflation?

  • Après une inflation moyenne, en moyenne tronquée et pondérée, de 4,5 % sur un mois en données désaisonnalisées et annualisées pour avril, la BdC disposerait d’arguments très solides pour justifier les raisons pour lesquelles l’inflation est appelée à être terrassée si elle décide d’abaisser le taux directeur. Je n’en suis pas convaincu. Et il ne s’agit pas d’un simple feu de paille. Il s’agit d’une tendance sérielle qui remonte à l’année écoulée. Le Canada est loin d’avoir maté l’inflation. On a aussi constaté récemment une hausse de l’ampleur de l’inflation des prix.
  • Petite anecdote : Depuis qu’elle a adopté son nouveau taux de référence dans le milieu des années 1990, la BdC n’a jamais abaissé son taux directeur après que le chiffre précédent immédiatement de l’inflation sous‑jacente se soit rapproché de ce niveau. Le résultat le plus proche s’est situé à peine à plus de 3 %, et elle abaisse presque toujours le taux directeur après la publication de chiffres beaucoup plus faibles sur l’inflation sous‑jacente.

3. Abaisser le taux directeur à cause des risques dans la colonne de la demande?

  • Il s’agit presque essentiellement du logement jusqu’à maintenant, et on ne peut rien faire du tout à propos du logement depuis le début de l’année. Il y a de sérieux problèmes que les taux d’intérêt ne parviennent pas à corriger et qu’il est préférable de laisser aux autres décideurs et au secteur privé. Abaisser les taux d’intérêt pour donner un coup de pouce au logement a) est loin de donner l’assurance de fonctionner en raison de la demande inélastique et b) pourrait très bien causer des problèmes plus considérables ailleurs en pérennisant le risque de l’inflation.
  • Il est très probable que la colonne de la demande soit appelée à fléchir.
  • Or, on peut en dire autant de la colonne de l’offre, en raison de la politique de réduction de l’immigration, de la baisse de confiance des investisseurs et des chaînes logistiques qu’on est en train d’ébranler à nouveau.
  • Il ne faut pas commettre la même erreur! Le travail de la BdC consiste à équilibrer l’offre et la demande, et non à prioriser l’une plutôt que l’autre. Si ceux qui se sont trompés pendant la pandémie et après la pandémie ont été si nombreux, c’est parce qu’ils n’ont pas tenu compte de l’évolution dans la colonne de l’offre.

4. La BdC ne ressent pas la pression des marchés. En effet, ceux-ci ne se préoccupent pas nécessairement d’elle, compte tenu de leurs antécédents riches en surprises, et elle ne risque pas d’être prise de court s’ils frappent dans le beurre. Les marchés lui accordent un répit pour l’amener à réfléchir en fonction des faits nouveaux.

5. L’assouplissement budgétaire. C’est maintenant à l’ordre du jour, sous la forme de motion sur les voies et moyens. Et il faut probablement s’attendre à une avalanche de mesures de relance budgétaire dans le budget de l’automne, pour augmenter les mesures provinciales. La politique budgétaire se substitue à l’assouplissement monétaire. Ce qui m’inquiète surtout, c’est que le Canada en fasse encore trop dans la relance budgétaire ce qui risque, de concert avec les difficultés dans la colonne de l’offre, de redonner à l’inflation un nouveau souffle, comme nous l’avons vécu.

6. Les tarifs douaniers. Il y aura de modestes répercussions dans trois circuits. Premièrement, les représailles seront limitées. Les répercussions des affolants tarifs importateurs américains sur les chaînes logistiques menant au Canada auront sans doute des répercussions plus importantes. Puis, l’impact sur les chaînes logistiques et sur la disponibilité des produits dans certaines catégories pourrait se dissiper au moment d’écrire ces lignes. Tant qu’on n’en saura pas plus sur les répercussions dans la complexité des circuits, une banque centrale dont le mandat est d’abaisser et de stabiliser l’inflation devrait s’abstenir de faire quoi que ce soit.

7. On attend toujours des précisions sur la nature et le moment des prochaines prévisions. La BdC a renoncé à livrer des prévisions il y a six semaines en privilégiant deux scénarios et un haussement d’épaules. Je ne peux m’imaginer qu’elle aura plus confiance dans ce qu’il faut prévoir et dans la ligne de conduite à tenir à terme. Avant tout, je crois que l’incertitude est plus grande aujourd’hui en raison du conflit qui oppose les tribunaux et l’administration américaine, ainsi que du dénouement de ce conflit. La BdC n’a pas à décider si elle doit ou non publier ses prévisions d’ici la diffusion de son RPM à la fin du mois de juillet. Pour l’heure, la patience est de rigueur. Si la BdC abaisse le taux directeur, elle n’aura pas de structure‑cadre pour justifier sa décision.

8. La politique est déjà neutre, et est peut‑être même encore souple. Un taux de 2,75 % se situe au milieu de la fourchette neutre de 2,25 % à 3,25 %. Ce n’est pas comme la Fed. En plus, la Fed a déjà mis fin il y a longtemps au durcissement quantitatif. La BdC dispose d’une plus grande marge d’optionnalité dans sa politique.

9. Les attentes inflationnistes sont elles aussi fortes. Il ne s’agit pas seulement de l’inflation réelle.

10. Vive les Oilers! Eh bien tant pis : ça n’a strictement rien à voir avec ce débat. Mais il me manquait un point pour arriver à 10!